L’Al Capone du Québec
C’est dans une Amérique du Nord du début du 20e siècle, levant du coude sous le joug de la prohibition, qu’un jeune boulanger du nom de Conrad Labelle troquera son modeste gagne-pain pour le pétrin du monde interlope. Un nouvel univers qui en moins de 4 ans, le couronnera à jamais comme étant le roi des bootlegger québécois.
Son histoire nous entraine au début des années 1920. Période durant laquelle la prohibition s’étend à l’ensemble du Canada et des États-Unis. Et dans ce désert parsemé de « dry states », le Québec fait office de sanctuaire où l’achat et la consommation d’alcool demeurent tout à fait légal. Une oasis juridique, à partir de laquelle, de 1919 à 1923, Conrad Labelle mettra au point un stratagème de transport couplé de pots de vin qui lui permettra de passer illégalement – non pas sans la moindre embûche – une quantité importante d’alcool du Québec vers les États-Unis.
C’est notamment à bord de sa Cadillac blindé, équipé, en excès, d’un rail de chemin de fer en guise de pare-chocs, que Conrad Labelle mènera la plupart du temps hors des sentiers battus – et parfois sous une pluie de projectiles – des cortèges de voitures aux coffres truffés d’alcool. De l’alcool que lui et ses acolytes avaient auparavant acheté, et ce, en toute légalité aux comptoirs des succursales de la commission des liqueurs du Québec. Selon ses dires, ses activités de contrebandiers pouvaient, en une seule nuit, lui rapporter jusqu’à 80 000 $. Encore selon lui, une caisse de champagne qu’il payait une dizaine de dollars à Montréal pouvait se revendre jusqu’à 150$ à New York. On comprend alors sans surprise, qu’à ce rythme, et en un peu moins de 3 ans, Conrad Labelle, devient, dans sa jeune vingtaine, un millionnaire de l’ombre.
Cultivant à merveille les clichés truculents que l’on peut se faire d’un contrebandier, celui-ci n’hésitera pas à dilapider une large partie de sa fortune << aux cartes >> et même à enflammer des billets de 100 $ pour allumer ses cigares. Également très ambitieux, notre célèbre contrebandier trinquera au champagne en octobre 1922 aux côtés de Warren G. Harding, le 29e président des États-Unis et homme d’état vivant bien la prohibition. La carrière de hors-la-loi de Conrad Labelle le mènera également à Chicago négocier avec un certain Alphonse Gabriel… Al Capone, ça vous dit quelque chose ?
De la bouche de Conrad Labelle lui-même, celui-ci se vantera toute sa vie de ne jamais s’être fait prendre pour ses activités de contrebandier. Cependant tout porte à croire qu’une bagarre avec un agent de l’immigration américaine en 1923, suivi la même année d’un accident de voiture où il sera d’ailleurs criminellement tenu responsable du décès de son passager, semble mettre un frein à ses activités sur le territoire américain. Et comme tout ce qui monte, un jour redescend, la flamme de celui que l’on finira par surnommer ici l’Al Capone québécois finira par s’éteindre en 1995 dans le village de Venise-en-Québec.